di Raphael Dalmasso* – Si le harcèlement moral individuel, réalisé par une personne sur une ou plusieurs autres salariés, est aujourd’hui communément admis en France, le harcèlement moral collectif, appelé parfois managérial, c’est-à-dire résultant d’une politique plus globale de l’entreprise et de ses dirigeants, n’avait jamais fait l’objet d’une reconnaissance textuelle ou jurisprudentielle.
Avec le jugement fleuve (343 pages) de la 31ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris du 20 décembre 2019, cette forme de harcèlement est, pour la première fois, reconnue. Le qualificatif retenu par les juges du fond est celui de harcèlement moral “institutionnelˮ. Cet adjectif est intéressant car il montre que c’est au niveau de l’entreprise, et d’une politique de gestion des ressources humaines décidée au plus haut niveau visant à comprimer les effectifs de toutes les manières possibles et imaginables, que c’est construit et mis en place un mécanisme collectif de harcèlement. Le jugement note ainsi que les le PDH et le DRH de France Télécom sont “initiateurs d’une politique de déflation des effectifs à marche forcée, jusqu’au-boutiste, ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de la collectivité des agents de France Télécom pour les forcer à quitter définitivement l’entreprise ou à être mobilesˮ. Cette politique, mise en place dès 2002, mais intensifiée en 2005-2006, avait en effet pour objectif le départ, “par la porte ou par la fenêtreˮ selon les mots même du PDG de l’époque, de 22.000 salariés.
Selon la Cour, cette forme de harcèlement résulte de l’activation de 3 leviers: un contrôle très strict des départs dans chaque service par la direction, une pression forte sur les cadres intermédiaires pour qu’ils favorisent le départ de leurs subordonnés dans leur service (via des augmentations de salaire en cas de réussite, ou des sanctions en cas d’échec), et un conditionnement général des esprits de ces managers au succès de cette politique. Le PDG du groupe (M. Lombard), le DRH (M. Barberot) et le numéro 2 du groupe (M. Wenès) ont ainsi été condamné à la peine maximale, soit un an d’emprisonnement, assortie d’un sursis à hauteur de 8 mois, et à 15.000 euros d’amende. La société France Télécom, en tant que personne morale, est condamnée à une amende de 75.000 euros. Lors de la lecture du jugement, la Présidente s’est permis une citation de Jean de la Fontaine: “Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappésˮ. Ce jugement vise donc à reconnaitre les souffrances endurées par tous les agents du groupe France Télécom pendant ces tristes années.
* Docente Università di Lorraine, Laboratoire IFG
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