Manon Aubry, au nom du groupe The Left. –
Madame la Présidente, Madame la Présidente von der Leyen, chers collègues, Madame Olena Zelenska, à quoi bon un discours de politique générale, si ce n’est pour répondre aux préoccupations quotidiennes des citoyens européens?
Alors, pour vous les rappeler, Madame von der Leyen, je suis venue ici avec les factures que des citoyens m’ont demandé de vous montrer. Celle-là, celle de Gilles, qui a vu le prix de son électricité augmenter de 113 euros par mois et qui accompagne son message par: «Je ne suis pas sûr de me chauffer cet hiver». Celle de Grégoire, 2 300 euros de factures de gaz en à peine six
mois. Et puis je pourrais en citer plein d’autres, celle de Brigitte, ici, qui se demande si elle va devoir arrêter de manger ou de s’éclairer cet hiver. Et je vais vous dire, ces gens, ils sont des millions dans leur cas, des millions à ne plus pouvoir faire face à l’augmentation faramineuse des prix, qui ne se limite pas au seul secteur de l’énergie. Des millions à ne plus supporter que pendant que leurs salaires stagnent, augmentent deux fois moins vite que l’inflation, la hausse des prix, les dividendes des actionnaires, eux, ont
explosé de 29 %.
Alors, je vous le concède, ce n’est pas la crise pour tout le monde et certains nagent effectivement dans l’abondance, comme dirait un certain Emmanuel Macron. Pendant que 99 % des citoyens tirent la langue, une poignée de milliardaires enchaînent les allers-retours entre Paris et Ibiza.
Une poignée d’entre eux aussi alimentent des golfs qui sont arrosés largement, le tout en pleine sécheresse et en pleine canicule. Voilà l’état de votre Union européenne, Madame von der Leyen. Et je regrette que vous n’ayez pas parlé de ces gens-là et que vous ayez d’ailleurs assez peu parlé des questions sociales dans votre discours. Et cette crise n’est pas uniquement le résultat de la terrible guerre en Ukraine et du chantage odieux de Vladimir Poutine. Elle est aussi le produit d’un système économique dont vous êtes aujourd’hui bien obligée de reconnaître les failles. Alors commençons par la taxation des superprofits. Déjà, première nouvelle, vous reconnaissez qu’il existe des superprofits des grandes entreprises multinationales? N’hésitez pas à en parler au ministre de l’économie et des
finances, Bruno Lemaire, qui ne l’a manifestement pas compris.
Alors que dans ce Parlement, nous étions bien seuls à demander une taxation des superprofits, je vois que le débat progresse et que nous sommes en passe de remporter une bataille culturelle. Je ne sais pas si c’est la crainte de nous donner raison, Madame von der Leyen, mais je dois d’ailleurs saluer votre créativité lexicale. Je vous ai imaginée avec un petit dictionnaire des synonymes, en cherchant comment éviter de reprendre les termes, en contournant les superprofits, en inventant la notion de contribution des profits exceptionnels. Mais je vais vous le dire, la bataille des mots nous importe peu. Ce qui compte, c’est bien que pour lui donner tout son sens, cette taxation ne doit pas être limitée aux énergies fossiles: elle doit concerner l’ensemble des entreprises qui ont profité de la crise. Celles du luxe comme LVMH, du fret maritime comme CMA-CGM, du secteur bancaire comme BNP. Et elles sont nombreuses, les multinationales à avoir fait des superprofits, pas uniquement dans le secteur de l’énergie, il faut le dire ici.
Sur le marché de l’énergie, c’est la même chose. Je vous revois, célébrant au début de votre mandat les vertus du marché. On voit aujourd’hui le résultat, avec une débâcle qui illustre à elle seule la crise de votre système de pensée. Rendez-vous compte que la première puissance économique mondiale, l’Union européenne, en est réduite à croiser les doigts pour que les black-out ne soient pas trop nombreux cet hiver et que les gens puissent encore avoir les moyens de simplement s’éclairer ou se chauffer. Alors là
aussi, face à l’échec de ce modèle, vous entrouvrez la porte à un blocage – temporaire bien sûr – des revenus des énergéticiens, en laissant quand même des marges énormes à ces entreprises, des fois qu’elles ne se soient pas suffisamment gavées. Les rustines ne suffiront pas. Il faut bloquer les prix au niveau d’avant-crise et sortir l’énergie du marché, car elle est un bien
commun comme l’eau, la santé, la nature et tout ce qui nous est nécessaire pour vivre.
La lucidité tardive et partielle ne suffit pas, Madame von der Leyen, encore faut-il de la cohérence. Et en matière climatique, dont vous avez aussi peu parlé aujourd’hui, on ne peut pas dire que c’est cela qui vous étouffe. Alors que l’Europe vient de vivre l’été le plus chaud de toute son histoire, voilà que vous reprenez à tour de bras la signature d’accords de libre-échange. Notre planète brûle, on dit aux citoyens qu’il faut éteindre le Wi-Fi, mais vous nous demandez encore de vider la mer à la petite cuillère si dans le même temps
vous entêtez à importer du lait et de la viande de Nouvelle-Zélande, à littéralement 19 000 kilomètres, on ne fait pas plus loin. En fait, voilà le cœur du problème, Madame von der Leyen: la crise vous contraint à changer de pied provisoirement, mais le naturel revient vite au galop. C’est d’ailleurs la même histoire avec la pandémie. Vous nous aviez dit: «J’ai compris la leçon», mais vous êtes ensuite retournée immédiatement au business as usual.
Alors, pour conclure, Madame von der Leyen, vous nous parlez du refus du carcan budgétaire. Mais comment vous croire quand c’est en échange de plus de contrôle des États membres? Vous nous reparlez d’une convention, de réforme des traités, mais comment vous croire quand vous avez ignoré les conclusions de la conférence sur l’avenir de l’Europe? Nous n’avons plus le temps d’attendre et de tout repousser à demain. En réalité, vous êtes prisonnière d’un logiciel en panne et d’un modèle en fin de vie, ce modèle d’une politique libérale qui s’effondre, incapable de résoudre les crises que vos politiques ont créées. Face à ça, deux alternatives: la haine, et je
regrette, comme mes collègues de ce point de vue-là, que la droite ait fait le choix de s’allier à l’extrême droite, parfois ici et trop souvent dans un certain nombre d’États membres. La droite a choisi son camp, le nôtre, il est clair, c’est celui de la solidarité. Alors je vous demande, Madame von der Leyen, combien de crises faudra-t-il encore pour que vous tiriez enfin véritablement les conséquences de ces échecs ?